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L'AMI DU PEUPLE

Matières

Appel à la nation
Malheurs qui résulteraient d'une guerre avec l'Angleterre
Des moyens de détruire la mendicité
Pantalonnade à l'occasion de Franklin
Corruption de l'assemblée nationale
Plaidoyer pour les invalides
L'Ami du Peuple à Camille Desmoulins
Vrais moyens pour que le Peuple soit libre et heureux
Observations sur les haines soulevées contre lui
Conjuration de tous les ennemis de la Révolution avec Lafayette
Dangers qui menacent la France

APPEL A LA NATION

Prétendre que les mandataires du peuple, les ministres de la justice, les administrateurs publics ne soient que des représentants incorruptibles, des juges intègres, des agents fidèles, les gardiens des lois, les défenseurs des citoyens, c'est vouloir que les hommes renoncent à leurs préjugés et à leurs passions ; qu'ils renoncent à l'amour du pouvoir, des honneurs, des richesses, à l'amour des voluptés et des vanités mondaines ; c'est vouloir que des âmes sans élévation, des coeurs de boue sacrifient tout à la vertu. Ne sortons pas de la nature ; il ne faut rien attendre de beau des dépositaires de l'autorité, il faut donc les surveiller sans cesse, éplucher leur conduite, éclairer leurs opérations, dévoiler leurs desseins ambitieux, leurs funestes projets, leurs machinations, leurs complots, et les dénoncer ouvertement, ce qui suppose la censure publique. Le premier soin d'une nation qui veut sortir de l'esclavage doit être d'inviter tout homme instruit et désintéressé à se charger de ces fonctions honorables, de l'avouer pour sa défense et de le couvrir de son égide.

Ce serait ne rien faire que de se borner à dénoncer les mandataires infidèles, les malversateurs, les prévaricateurs, si la nation ne se ménage pas un moyen également prompt et infaillible de les réprimer et de les punir. Le soin de sa vengeance ne peut être remis qu'entre les mains de patriotes qui ont fait leurs preuves, de dépositaires aussi sages que fermes et incorruptibles. Eux seuls doivent composer un tribunal d'Etat, et c'est devant ce tribunal que les censeurs publics traduiront les agents du peuple qui ont abusé de l'autorité; enfin lorsque la corruption a gagné tous les agents de l'administration, le seul moyen de rétalblir les choses, c'est de nommer, pour un temps court, un dictateur suprême, de l'armer de la force publique et de lui commettre le châtiment des coupables. Quelques têtes abattues à propos arrêtent pour longtemps les ennemis publics et soustraient pour des siècles une grande nation aux malheurs de la misère, aux horreurs des guerres civiles, maximes bien éloignées de nos préjugés. Oui, c'est notre ignorance, notre vanité, notre présomption, notre aveugle confiance, qui nous fait aller au-devant du joug qui nous livre, pieds et mains liés, au pouvoir de nos mandataires, de nos serviteurs. Nous prostituons la sensibilité et nous méconnaissons le sentiment; nous ne savons pas aimer, et nous sommes idolâtres; nous voulons juger de tout, et nous ne savons rien apprécier; nous nous engouons de chimères, nous caressons nos ennemis, et nous négligeons nos amis; nous fêtons les fripons adroits qui conspirent contre nous, et nous dégoûtons les sages qui nous éclairent; nous adorons les hypocrites qui travaillent à nous perdre, et nous abandonnons les hommes du bien qui se font anathèmes pour nous sauver...

O Parisiens, vous n'êtes que des enfants, vous fermez les yeux sur les malheurs qui vous attendent, l'irréflection vous tient dans la sécurité, la vanité vous console de tous vos maux. Mais pourquoi vous accabler de reproches inutiles ? Vous ne voulez être libres que pour vous vendre, vendez-vous. Vous êtes contents de vos fers, gardez-les; vous repoussez la main qui veut vous tirer de l'abîme, restez-y. Les intrigants qui vous trompent, les fripons qui vous dépouillent, les scélérats qui vous asservissent sont les hommes qu'il vous faut. Continuez d'adorer le divin Necker, l'héroïque Lafayette, l'immortel Bailly; prosternez-vous devant ces modèles de civisme, de désintéressement, de vertu; courez dans les cafés. bavardez sur les papiers-nouvelles, rangez-vous autour d'un poêle ou d'une table, racontez vos exploits et portez vos chaînes. L'ami du peuple, désolé de votre complaisance, de votre sécurité, de votre dépravation, n'aura donc vu luire l'aurore de la liberté que pour en déplorer la perte; renfermant au fond de son coeur ses alarmes, ses regrets, son désespoir, il gémira le reste de sa vie sur son sort, comme un père tendre gémit sur le sort d'un fils dénaturé.

Grâce à l'enchaînement des circonstances, vous respirez encore; mais le jour s'avance où le dur joug qu'on vous prépare s'appesantira sur vos têtes, et vous serez livrés à vos oppresseurs. A la vue des scènes sanglantes de la tyrannie, rendus à vous-mêmes par la terreur, vous regretterez la liberté que nous avons perdue, vous frémirez de l'avoir foulée aux pieds, vous maudirez votre aveuglement, Mais, hélas ! quel sentiment de tristesse vient déchirer mon âme ! Ah ! s'il reste encore quelque espoir aux amis de la patrie, c'est que la liberté bannie de nos murs par vos vices, plus encore que par votre ignorance, trouvera un asile dans les provinces, et c'est pour elles surtout que je désire ne pas éprouver le sort de Cassandre...

Je n'ai porté mes réclamations au tribunal de la nation que parce qu'elles intéressent la cause publique; il importe au triomphe de la liberté qu'un de ses plus zélés défenseurs ne soit pas immolé par les agents du pouvoir.

On lui fait quelques reproches. Peut-être a-t-il passé les bornes de la modération en attaquant les ennemis du bien public : il ne s'en défend pas; il sait qu'il porte jusqu'au délire l'amour de la justice, de la liberté et de l'humanité; mais au milieu des écarts que les gens froids et tranquilles lui imputent, son coeur fut toujours pur, et jamais il n'eut en vue que le salut de la patrie.

C'est pour travailler à rendre la nation libre et heureuse qu'il mène depuis treize mois un genre de vie qu'aucun homme au monde ne voudrait mener pour se racheter d'un cruel supplice; c'est pour elle qu'il est descendu dans l'arène; c'est pour elle qu'il a si souvent abandonné le soin de ses jours.

De rigides censeurs qui veulent absolument retrouver l'homme dans le patriote ont cherché à ternir la pureté de son zèle; il avoue que son coeur n'est pas insensible à la gloire, dont il ne rougit pas et dont l'austère vertu ne peut lui faire un crime. Tel est l'Ami du peuple. Lorsque le songe de la vie sera prêt à finir pour lui, il ne se plaindra point de sa douloureuse existence, s'il a contribué au bonheur de l'humanité, s'il laisse un nom respecté des méchants et chéri des gens de bien.

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MALHEURS QUI RESULTERAIENT D'UNE GUERRE AVEC L'ANGLETERRE

Enragés de voir échouer tous les complots qu'ils avaient formés, toutes les trames qu'ils avaient ourdies pour remettre la nation sous le joug, les ministres ont mis leurs dernières espérances dans une guerre avec l'Angleterre, dont ils redoutent moins les suites désastreuses pour la nation qn'ils n'espèrent des moyens qu'elle leur fournirait de se ressaisir des rênes du gouvernement. Ils n'osent encore avouer leur noir projet, ils le couvrent du prétexte de mettre en sûreté le royaume; mais il n'est rien qu'ils ne mettent en oeuvre pour y préparer les esprits. Non contents d'avoir à leur solde cent plumes vénales, ils s'efforcent de réduire au silence les écrivains patriotiques.

L'objet chéri des voeux de nos ministres, c'est d'arracher la nation au soin de régler les affaires intérieures de l'Etat pour l'occuper des événements du dehors; d'appeler sur elle les fléaux de la guerre, de la misère, de la famine, de la désolation et de la mort, pour l'empêcher de travailler à sa Constitution, et d'établir, par de sages lois, sa liberté, son repos, son bonheur.

Pour préparer les esprits à l'horrible catastrophe, ils font prêcher partout la nécessité de nous allier aux Hollandais et d'armer contre l'Angleterre pour mettre à couvert nos possessions, c'est-à-dire de faire aujourd'hui la guerre aus Anglais, crainte d'être obligés de la leur faire un jour : projet funeste dont nous ne tarderions pas d'être les malheureuses victimes ...

La guerre que des ministres ambitieux entreprennent si légèrement pour assouvir leurs vues criminelles, est le plus terrible des fléaux dont le ciel puisse affliger la terre.

- Voyez les Romains, ce peuple féroce, dévoré d'ambition, altéré de sang, et dont le carnage était l'unique métier, qu'a-t-il retiré de tant de guerres entreprises pour envahir le monde, de tant de campagnes périlleuses, de tant de batailles gagnées, de ces nuées d'ennemis étendus dans la poudre, de ces fleuves de sang qu'il a fait couler à grands flots ? De quoi lui ont servi tant de trésors pillés, tant de couronnes ravies, tant de royaumes conquis ? Et que lui a valu l'empire du monde ? Le vain fracas de quelques fêtes militaires, quelques vains trophées, quelques statues d'or élevées dans ses temples. Et qu'a-t-il enfin retiré lui-même de ses nombreux triomphes ? Des vices, la misère, la servitude, l'oppression, et l'anéantissement.

Voyez Louis XIV. A quoi aboutit sa funeste ambition ? qu'à faire le désespoir des Français. Pendant le trop long cours de son règne fastueux, il ne les laissa pas reposer un instant. Toujours aspirant à de nouveaux triomphes, longtemps il les mena de victoire en victoire; mais pour fournir aux frais de ces guerres éternelles, il épuisa les peuples de misère, il appela sur eux la famine et la désolation, il finit par se voir arracher ses conquê- tes, il toucha au moment d'être précipité du trône et de devenir la proie de ses nombreux ennemis.

Hé ! que n'a coûté aux Anglais la guerre contre les Américains ? Que ne nous a-t-elle pas coûté à nous-mêmes ? Entreprise pour affaiblir nos adversaires, nous en avons perdu tous les fruits; les frais seuls montent à trois milliards, dette si exorbitante, qu'elle ne pourrait être acquittée au bout de vingt ans d'économie et de prospérité.

Je n'ai pas le courage de continuer le tableau effrayant des désastres et des revers où cette fureur insensée a précipité les nations; mais quelque effrayant qu'il paraisse, il n'est point de malheurs aussi cruels que ceux qu'elle entraînerait pour nous, si le ministre pouvait une fois nous mettre aux prises avec les Anglais. Qu'il ait gagné ce point-là, le reste lui devient facile. Avec quelle ardeur il poursuivra ses desseins perfides ! Que de moyens il aura de se ressaisir du pouvoir absolu ! A peine l'argent et l'armée seront-ils dans ses mains, que les décrets de l'Assemblée nationale ne l'inquiéteront plus; il la tiendra sous le joug et la fera servir à consacrer ses ordres tyranniques.

Je le repète, nous n'avons rien à craindre des Anglais; ils sont à nous, ils voient avec admiration nos combats pour la liberté, ils applaudissent à nos efforts, ils font des voeux pour nos succès. (1) Ne les attaquons pas, et ils nous laisseront tranquilles. Laissons l'Espagne, qui n'est plus rien pour nous, se tirer d'affaire comme elle le pourra; ne souffrons pas que nos ministres soient assez téméraires pour ordonner que la flotte reste en mer, provoque l'ennemi, l'engage et fasse passer l'action pour une affaire arrivée au hasard.

Que les écrivains patriotiques soulèvent de toute part la nation contre une entreprise qui ne peut qu'entraîner les plus grands malheurs; qu'ils fassent voler des cris d'alarme d'un bout à l'autre du royaume; qu'ils soufflent sans cesse les feux

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(1) Il est exact en effet que les Anglais applaudirent aux premiers mouvements révolutionnaires. On sait ce que devint cette sympathie par la suite et la guerre implacable faite à la Révolution et à l'Empire.

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sacrés de la liberte parmi les troupes de ligne; qu'ils fassent tomber des mains des chefs ces lourdes chaînes dont ils lient le soldat à la volonté d'un despote; que leurs ordres tyranni- ques restent partout sans effet; que les guerriers s'unissent autour des autels de la patrie; qu'ils s'engagent à ne plus porter les armes contre ses enfants, qu'ils jurent de vivre et de mourir pour elle. O sainte liberté ! de quoi l'homme de bien n'est-il pas capable, lorsque tu enflammes son coeur ?

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DES MOYENS DE DETRUIRE LA MENDICITÉ

De quoi me servira de me morfondre à l'ouvrage ? Je serai toujours gueux, se dit à lui-même l'homme qui n'a aucune propriété, l'homme foulé d'impôts, à qui le gouvernement enlève inhumanement le fruit de ses services, l'homme dont le mince salaire ne suffit pas pour lui procurer les choses de première nécessité; et il reste dans l'inaction, ou s'il travaille, ce n'est que pour s'empêcher de mourir de faim; sentant toute la journée le poids de sa triste existence et le malheur de sa condition, il cherche, dès qu'il le peut, à oublier quelque moment ses peines, et à noyer ses soucis dans le vin. Mais donnez a cet homme quelque mince propriété et qu'il puisse jouir un jour du fruit de ses travaux, il s'y attachera comme à la source de son bonheur; il mettra tous ses soins à le conserver et à l'augmenter; c'est une verité dont la Suisse, le pays du monde où l'on connaît le plus généralement les douceurs de la vie, offre un tableau touchant.

Avec la misère disparaitront l'oisiveté, la crapule et le libertinage; le goût des plaisirs domestiques, inséparable de l'amour du travail, succédera à la dissipation et à la débauche; les moeurs s'épurerlont, les mariages se multiplieront, la population augmentera, et l'abondance, la vie réglée, la santé, la joie régénéreront l'espèce, abâtardie par la misère et l'oppression.

C'est dans la capitale surtout que la métamorphose sera frappante; rien de plus aisé que d'en accélérer les progrès : avec les lits et les petits meubles que les religieux laisseront dans les couvents, on pourrait faire dans le cours d'une année des milliers de mariages heureux. L'honnêteté des indigents serait un titre à ces bienfaits; mais j'anticipe sur les fonctions des commissaires de bienfaisance, dont le zèle éclairé sera sans doute le premier des bienfaits du retour de la liberté. Puissent leurs soins généreux faire oublier bientôt aux infortunés les maux affreux de l'ancien régime ! Je soumets leurs lumières cette légère esquisse des avantages que l'on peut retirer des maisons religieuses. Quelque légère qu'elle leur paraisse, je me flatte qu'ils ne négligeront pas les vues salutaires qu'a suggérées à l'Ams du peuple son amour pour l'humanité.

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PANTALONNADE A L'OCCASION DE FRANKLIN

C'était la journée des sentiments exaltés que le 11 de ce mois ! sacrifices généreux, nobles maximes, scènes édifiantes, rien n'y manquait qu'un peu de sincérité, un peu de bonne foi. Ne passons pas sous silence une farce assez plaisante pour un observateur. « Messieurs, s'est écrié le grand Mirabeau, Franklin est mort, il est retourné au sein de la divinité, le génie qui afranchit l'Amérique et versa sur l'Europe des torrents de lumière. Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires tenait sans doute un rang élevé dans l'espèce humaine. Assez longtemps l`étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites. Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs. Les représentants des nations no doivent recommander à leurs hommages que les héros de l'humanite.

Le congrès a ordonné, dans les quatorze Etats de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération et de reconnaissance pour l'un des pères de sa constitution. Ne serait-il pas digne de nous, Messieurs, de nous unir à cet acte religieux, de participer à cet hommage, rendu à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre. L'antiquité eût élevé des autels à ce puissant génie, qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. L'Europe éclairée et libre doit du moins un témoignage de souvenir et de regrets à l'un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.

« Je propose qu'il soit décreté que l'Assemblée nationale portera, pendant trois jours, le deuil de Benjamin Franklin. »

Cette motion a été applaudie avec transport, et l'Assemblée a décrété par acclamation que, à commencer de lundi prochain, elle porterait le deuil de la mort de Franklin pendant trois jours; elle a en outre décrété l'impression du discours de M. de Mirabeau.

A la lecture de cette motionl touchante, je n'ai pu me défendre d'un sentiment douloureuxs, et j'ai regretté amèrement qu'elle n'eût pas été faite par quelque bon patriote. Oui, il est temps que les peuples cessent de se prosterner devant les idoles de la fortune, et qu'ils apprennent à respecter leurs défenseurs, à chérir leurs bienfaiteurs, à en sentir la perte, à faire éclater publiquement leur affliction. Sans doute, Franklin fut l'un des libérateurs de sa patrie, l'un des premiers à se déclarer contre le gouvernement tyrannique de la Grande-Bretagne. Il lui jura une haine éternelle; il mit tout en oeuvre pour en secouer le joug, ponr en ruiner l'empire, et il ne se démentit jamais.

Etait-ce au comte de Mirabeau, à ce zélé suppôt le l'autorité couvert du masque du patriotisme, à cet orateur dangereux, à qui nous devons les funestes décrets du veto suspensif, de la loi martiale, du marc d'argent, de l'indépendance absolue de nos députés, du droit de paix et de guerre, en un mot, était-ce au plus redoutable ennemi de la liberté publique à proposer le deuil d'un apôtre de la liberté ?

Qui ne voit que son discours n'est qu'un tour de passe pour faire oublier ses derniers démérites et en imposer par une fausse popularité ?

Mais n'y avait-il rien de plus dans cette farce ridieule ? Que les pères de la patrie répandent quelques larmes et jettent quelques fleurs sur la tombe d'un sage qui honora l'humanité et qui vengea les droits de l'homme, ce saint devoir est fait pour le coeur. Mais que les ennemis de la Révolution se mêlent à cette auguste cérémonie; qu'un Virieu, qu'un Foucault, qu'un Desmeuniers, qu'un Garat, qu'un Montlausier, qu'un Dupont, qu'un Malouet, qu'un Cazalès, qu'un Maury prennent des pleureuses, cela se conçoit-il ? Cependant nos Parisiens édifiés applaudissent à cette scène grotesque.

O mes concitoyens, il vous faut des parades : vous serez toujours de vieux enfants.

A tant de traits ridicules de faux patriotisme, comment ne reconnaissez-vous pas la politique dangereuse de vos mortels ennemis ? Les noirs n'élèvent plus la voix contre vous, ils paraissent subjugués, et se condamnent au silence : vous les croiriez vos amis, mais ils n'ont que changé de marche; ils se retranchent derrière les impartiaux, qu'ils mettent en avant pour vous enlacer : piège d'autant plus redoutable, que leurs traits ne paraissent plus partir d'une main ennemie; et que ceux qui les lancent se parent de dehors affectueux, qu'ils prêchent la douceur, qu'ils affichent l'humanité, et que, pour vous perdre, ils emploient les mogens les plus propres à vous séduire. Où en veulent-ils venir ? A vous bercer par ces petites réformes, cette feinte générosité, ces dehors séducteurs, et à vous endormir à l'approche de l'orage qu'ils cherchent à exciter dans la vue de bouleverser l'Etat. Pour les déjouer, n'ayez que deux points de vue : empêchez la guerre avec les Anglais et confédérez-vous avec les soldats et les bas officiers des troupes de ligne.

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CORRUPTION DE L'ASSEMBLEE NATIONALE

C'est une maxime bien fausse, de croire qu'il faille toujours dissimuler les maux de l'Etat et cacher la profondeur de ses plaies ; car si ceux qui tiennent les rênes du gouvernement sont toujours intéressés à combler la mesure des calamités publiques ; si les représentants de la nation sacrifient prêsque toujours ses intérêts à leur ambition ou à leur cupidité, et si le peuple seul veut toujours le bien, comment le porter à chercher le remède à ses maux, quand on lui dissimule les dangers de son état ? Je n'aurai donc point de secret pour le public, et quoi qu'il arrive, je déchirerai le voile dont on couvre l'abîme où l'on cherche à nous précipiter.

Tout ce qui s'est fait à l'Assemblée nationale depuis huit jours peut être contenu dans une page, aux règlements près qui fixent le traitement des ministres de la religion. A l'ouverture de chaque séance, ce sont toujours de ridicules adresses d'adhésion aux augustes décrets, suivis du serment de les défendre jusqu'au dernier soupir; indiscrète adhésion, serment téméraire d'une aveugle multitude, incapable de distinguer dans l'ouvrage du législateur ce qui est digne d'éloges, de ce qui est digne de blâme. Sans doute les décrets faits pour le bonheur public doivent être maintenus au prix de tout notre sang, mais ceux qui enlèvent aux citoyens leurs droits sacrés, et ceux qui sacrifient au monarque la souveraineté de la nation, doivent être proscrits avec la même ardeur.

Peuple inconsidéré, ce n'était donc pas assez pour ruiner ta cause et t'arracher le fruit de tes victoires, de l'avarice, de la rapacité, de l'ambition, de la haine, de la rage, de la fureur dévorent le sein des députés des ordres abolis ; ce n'était pas assez de leurs intrigues, de leurs menées, de leurs complots, de leurs trames odieuses ; ce n'était pas assez de la vénalité, de l'astuce, de la perfidie, de la trahison de tes propres représentants; il fallait encore que ta crédulité, que ta sotte confiance, que tes adulations, que ton idolâtrie encourageassent au crime et poussassent aux derniers attentats une lâche majorité prostituée à la cour ; il fallait êncore que son ingratitude envers tes fidèles représentants te fît compter pour rien leurs généreux efforts et leurs réclamations. Ah ! je le vois trop, c'en est fait des intérêts de la liberté pendant le reste de cette législature. Sourd à la voix des remords et de la pudeur, elle suit avec opiniâtreté ses noirs projets ; n'attendez plus d'elle que fausses promesses, bienfaits illusoires, pièges, prévarications et perfidies ; sans cesse des comités vendus forgeront des projets de décrets funestes qu'elle adoptera avec acclamation; sans cesse elle entraînera le peuple de chute en chute jusqu'au moment de sa dissolution ...

Jugeons de l'avenir par le présent et le passé. Voul verrez cette assemblée rien moins qu'auguste, au moment où elle cherchera à organiser le pouvoir judiciaire, mettre tous ses soins à éviter l'institutition d'un vrai tribunal d'Etat, et se donner garde de le composer d'un petit nombre de patriotes distingées comme l'exigerait le salut de la patrie ... Vous la verrez, imposant silence aux spectateurs témoins de prévarications, enlever aux électeurs le droit de surveiller le pays, le droit de déstituer ceux qui seront suspêcts, le droit de punir ceux qui seront corrompus.

Vous la verrez aussi, l'Assemblée nationale, au moment où elle cherchera à organiser l'armée, mettre tous ses soins à enlever aux soldats le droit incontestable qu'ils ont de nommer leurs officiers, de les surveiller, de les contrôler, de les déstituer; ou si elle craint de le leur enlever, vous la verrez affranchir les troupes de ligne du pouvoir civil, attribuer à un conseil de guerre la reconnaissance des délits qui n'appartiennent qu'aux tribunaux, soumettre à l'état-major le jugement des actes d'indiscipline et des abus d'autorité, qui n'appartient qu'à un conseil nommé par le régiment et remettre dans les mains du ministre le dur joug sous lequel le soldat gémit depuis si longtemps.

C'est ainsi que, dans l'organisation des municipalités, elle s'ést étudiée à enlever à la commune le droit incontestable qu'elle a de toujours rester assemblée ou de s'assembler toutes les fois qu'elle juge à propos pour s'occuper des affaires publiques; le droit de surveiller, de contrôler, de destituer, de réprimer, de punir ses mandataires, droit essentiel, sans lequel tous les autres ne sont qu'illusoires. Le moyen d'en être sur pris ! Elle s'êst bien attribué à elle-même ceux que la nation a sur ses représentants.

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PLAYDOYER POUR LES INVALIDES

Rien n'est mieux pour démontrer combien nous sommes loin de la liberté et combien les agents comptent sur le rétablissement de l'ancien régime, que l'impudence avec laquelle ils se jouent des lois, que l'audace avec laquelle ils foulent aux pieds les décrets de réforme, que l'impunité avec laquelle ils poursuivent leurs anciens errements; on dirait qu'ils n'ont en vue que de nous faire sentir à quel point nous sommes esclaves; encore si les citoyens qui ont le mieux mérité de la patrie n'étaient pas leurs plus tristes victimes ! Voyez les invalides : est-il une âme honnête et sensible qui ne soit touchée de compassion pour ces militaires surannés, ces infortunés serviteurs de la patrie, que l'Assemblé nationale abandonne sans pitié à leurs tyrans, tandis qu'elle accumule sans pudeur des sommes énormes sur la tête des gros bénéficiers, et que des orateurs jadis populaires n'ont pas honte de prostituer leurs talents à encourager cette scandaleuse prodigalité, en plaidant le besoin de délices mondaines, devenus nécessaires à ces sybarites par une suite de l'éducation et de l'habitude ?

Mais quoi ! une coiffeuse empochera chaque année deux mille livres pour avoir donné un coup de peigne au dauphin, tandis qu'un brave soldat, criblé de coups, obtient à peine trois louis annuellement ! Un baladin de la cour touchera dix mille livres annuelles pour quelques cabrioles, tandis que le vainqueur d'une ville obtient à peine quarante-quatre livres de pension ! Et que ne dirions-nous pas, si nous faisions voir de fameuses catins de la cour, gorgées d'or pour quelques services honteux rendus à Messaline, tandis que le pauvre peuple, qui fournit à ces profusions, languit dans la misère !

Frappé de ces objets effroyables, le comité des pensions a rougi de voir 59 millions enlevés aux laboureurs et aux arti- sans pour engraisser les flagorneurs du prince, les suppôts et les satellites de l'autorité, les servantes et les valets de la cour. On a senti la nécessité de réduire ces pensions et d'accorder enfin quelques petits gratifications aux soldats de l'état. Au bout de trente ans de services, vous pourrez donc espérer, braves guerriers, quelque faible rétribution, et à l'age de soi- xante-dix ans, lorsque vous n'aurez plus d'organes pour jouir, lorsque votre santé sera glacé dans vos veines, lorsque vous serez mort au monde, vous recevrez en retraite vos minces appointements, si toutefois ils ne vous sont pas retenus alors, comme aujourd'hui, par vos indignes officiers.

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L'AMI DU PEUPLE A CAMILLE DESMOULINS

J'aime à croire que mon frère d'armes, Camille Démoulins, n'abandonnera point la patrie et ne renoncera point au soin de sa gloire en perdant courage au milieu de sa noble carrière. Il est révolté d'avoir entendu demander sa tête par des députés à la fédération. Mais quelques hommes ivres ou abusés ne font pas le public, et ce public lui-même, vint-il à s'égarer, renferme toujours un grand nombre de citoyens estimables, pleins d'admiration et de reconnaissance pour leurs généreux défenseurs. Enfin, quand le peuple ne serait composé que d'hommes vils et ingrats le vrai philosaphe fermera-t il donc son coeur à l'amour de l'humanité dès qu'il ne verra plus de rétributions mondaines pour prix de sa vertu ? O mon ami, quel sort plus brillant pour un faible mortel que de pouvoir, ici-bas, s'élever au rang des dieux ! Sens toute la dignité de ton être, et sois convaincu que, parmi tes persécuteurs, s'il en est mille qui sont humiliés de leur nullité, de leur bassesse, il en est mille qui envient tes destinées.

Peu d'hommes, je le sais, seraient d'humeur de s'immoler au salut de la patrie. Mais quoi ! un citoyen qui n'a ni parents, ni femme, ni enfants à soutenir craindrait-il donc de courir quelques dangers pour sauver une grande nation ? tandis que des milliers d'hommes abandonnent le soin de leurs affaires, s'arrachent du sein de leur famille, bravent les périls, les fatigues, la faim, et s'exposent à mille morts pour voler à la voix d'un maître dédaigneux et superbe, porter la désolation dans les pays lointains, égorger des infortunés qn'ils n'ont jamais vus et dont ils ont à peine entendu parler !

Quoi ! de nombreuses légions ne craindront pas de se couvrir de crimes pour huit sols par jour, et l'amour de l'humanité, l'amour de la gloire, seront trop faibles pour porter les sages à braver le moindre danger !

Je ne eherche point à me donner de l'encens, mais, mon ami, votre sort est encore éloigné de la dureté du mien. Depuis dix-huit mois, condamné à toute espèce de privations, excédé de travail et de veilles, rendu de fatigues, exposé à mille dangers, environné d'espions, d'alguazils, d'assassins et forcé de me conserver pour la patrie, je cours de retraite en retraite, sans pouvoir souvent dormir deux nuits censécutives dans le même lit, et toutefois de ma vie je n'ai été plus content ; la grandeur de la cause que je défends élève mon courage audessus de la crainte ; le sentiment du bien que je tâche de faire, des maux que je cherche à prévenir, me console de mon infortune, et l'espoir d'un trioumphe brillant pénètre mon âme d'une douce volupté.

Comme vous aimez à rire, voici quelques anecdotes qui pourront vous égayer, en vous donnant une idée de l'agitation de ma vie depuis la révolution.

Le 22 janvier, jour où le ministre des finances, le maire et le comandant genéral envoyèrent une armée pour m'assaillir, je reposais dans une rue voisine, lorsqu'un jeune homme attaché à mon bureau vint m'annoncer en pleurant que ma maison était enveloppée par plusieurs bataillons. A l'instant mon hôte et son épouse entrèrent dans ma chambre d'un air consterné; ils voulurent parler, ils ne purent que gémir. - Paix donc ! m'écriai-je, ce n'est rien que cela. - Je sautai en place et je demandai à être seul. Jamais je ne suis plus de sang-froid qu au milieu des dangers imminents. Ne voulant pas sortir en désordre, crainte d'éveiller le soupçon, je fis toilette, je passai une redingote, je me couvris d'un chapeau rond, je pris un air riant, et me voilà parti, gagnant le Gros-Caillou, à travers un détachement de la garde envoyée pour m'enlever. Chemin faisant, j'avais cherché à distraire mon compagnon de caravane et je conservai ma bonne humeur jusque vers cinq heures du soir, heure à laquelle j'attendais l'épreuve de la feuille où je rendais compte de la fameuse équipée. Personne ne vint. Je pressentis le coup qui me menaçait et j'appris, le lendemain matin, que les scellés avaient été mis sur mes presses. La journée se passa dans la tristesse. On avait eu vent de la route que j'avais tenue. Dans la soirée, la maison fut investie par des espions ; je les reconnus à travers une jalousie. On me proposait de me sauver par le toit, à l'entrée de la nuit.

Je passai au milieu d'eux en plein jour, donnant le bras à une jeune personne et marchant à pas comptés. Lorsque la nuit fut arrivée, je me rendis an grand bassin du Luxembourg; deux amis m'y attendaient ; ils devaient me conduire chez une dame du voisinage. Nous ne trouvâmes personne au logis ; me voilà sur le pavé. Un de mes compagnons se mit à pleurer et je vais chercher un asile au fond du Marais.

Arrivés à la Grève, je voulus voir le réverbère que l'on me destinait deux jours auparavant, et je passai par-dessous. Arrivés rue de la Perle, mon nouvel hôte avait compagnie ; j'y trouvai une personne qui ne m'était pas inconnue. Pour dépayser les curieux, il fallait jouer la gaieté ; elle vint réellement. Après un quart d'heure de conversation, je demande à l'oreille de mon hôte s'il était sûr de telle personne. -Comme de moi-même. - Fort bien ! Et je continuai la conversation. Je soupai et allai me coucher. Au milieu de la nuit, une escouade de cavalerie fait halte sous mes fenêtres. Je saute en place, j'entr'ouvre mes volets. Je remarque qu'aucun d'eux n'a mis pied à terre; je regagne tranquillement mon lit, jusqu'au lendemain, où il fallut décaniller.

Cher Desmoulins, toi qui sais si bien egayer ton lecteur, viens apprendre à rire avec moi, mais continue à combattre avec énergie les ennemis de la révolution et reçois l'augure de la victoire.

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VRAIS MOYENS POUR QUE LE PEUPLE SOIT LIBRE ET HEUREUX

On commence à murmurer tout haut contre les décrets qui ordonnent la réduction des soixante districts en quarantehuit sections, qui exigent trois livres de contributions directes pour être citoyen actif, dix livres pour être éligible à un dépar- tement, et un marc d'argent pour être député à l'Assemblée nationale, quelques talents et quelques vertus qu'on puisse avoir d'ailleurs, de même que contre beaucoup d'autres décrets qui blessent et détruisent les droits du peuple.

On demande si le législateur d'une nation libre peut en usurper la souveraineté; s'il peut anéantir les droits des citoyens, les enlever à certaine classe pour les transporter à telle autre; s'il lui est licite de restreindre, aux gens aisés et aux soldats vendus, le droit qu'ont tous les citoyens d'élire leurs mandataires; s'il peut arracher au peuple le fruit de ses victoires, et si des valets de la cour peuvent sacrifier au prince le peuple dont il dépend et par qui ils existent.

On ne peut réfléchir aux travaux de l'Assemblée nationale depuis quatre mois, sans être indigné de voir sortir de son sein tant de décrets dérogatoires à la déclaration des Droits de l'Homme et funestes à la liberté, sans être frappé du projet funeste qu'elle a formé de rendre au monarque le pouvoir absolu. Et quand tous ces décrets odieux ne saperaient pas à petit bruit l'édifice de la constitution qu'elle a élevé, ce noir projet devrait jeter l'alarme dans les esprits et détruire à jamais tous ses titres à notre confiance.

Oui, c'en est fait, l'Assemblée nationale ne fera plus rien pour le bonheur des peuples, pour le triomphe de la liberté; la sécurité a commencé sa défection, la flagornerie l'a consommée. De tous les coins du royaume sont arrivées des adresses d'adhésion à ses décrets; adresses où l'on encense sa sagesse, où l'on bénit sa bienfaisance. Mais si elle fit jamais quelque chose digne d'éloge, rendons grâce aus fureurs de la populace des faubourgs de Paris. Sans les têtes abattues de Launay, de Flesselles, de Berthier, et de Foulon, aurions-nous aujourd'hui une déclaration des droits de l'homme ? et les premières atteintes auraient-elles été portées à la tyrannie féodale ?

Sans les têtes abattues de quelques satellites loyaux, les biens du clergé seraient-ils rentrés dans les mains de la nation, et la réforme des abus de ce corps gangrené aurait-elle eu lieu ?

L'opinion publique était trop soulevée contre les ordres privilégiés; l'impulsion est donnée; le legislateur ira donc jusqu'au bout; il achèvera de démolir la forteresse gothique de la féodalité; mais n'attendez rien de plus et ne vous flattez pas de voir élever sur ses ruines le temple de la liberté.

Ces hommes, qui ont décrété la déclaration des droits du citoyen, sont les mêmes qui s'efforçaient de diseoudre l'Assemblée avant le 14 juillet 1789, les mêmes qui, depuis le 22 octobre, n'ont cessé de miner les fondements du fréle édifice de la constitution.

Insolents et superbes, tant qu'ils vous croyaient écrasés pour toujours, ils ne voulaient point entendre parler de vous relever, de vous affranchir.

Vous ont-ils vu en armes ? Aussi bas qu'ils étaient arrogants, ils ont été au-devant de vous, ils ont brisé vos chaînes; ils ont renoncé d'eux-mêmes aux privilèges barbares qu'ils défendaient avec fureur quelques jours auparavant, et ils ont pris l'engagement de travailler à établir le règne de la liberté et de la justice.

Mais à peine eurent-ils assuré leur inviolabilité, qu'ils oublièrent leurs serments, qu'ils violèrent eux-mêmes les droits de l'homme et du citoyen. A peine la loi martiale fut-elle pro- mulguée, que, tapis derrière ce rempart, ils n'ont cessé de travailler à vous faire perdre le fruit de vos victoires, à vous enlever vos avantages et à rendre au monarque le pouvoir absolu.

Pour s'être pliés aux circonstanes, ils n'en sont pas moins à craindre; leur coeur n'a point changé, il est plein de fiel. En dépit de leur nouveau serment, n'attendez d'eux que lois captieuses, que règlements funestes; ils vous parlent des soins de leur zèle; ils vous prêchent la soumission; mais ils ne veulent que vous endormir : ils ont ceint sur vos fronts le bandeau du respect superstitieux, ils vous remettront aux fers, à moins que, honteux de votre sotte crédulité, vous ne vous éleviez contre eux avec fureur. Vous élever contre eux ? Ah ! vous êtes trop simples, trop lâches; restez du moins immobiles et laissez faire au petit peuple. Lui seul les fera rentrer dans le devoir. Au premier signe d'une insurrection générale, ils reprendront avec empressement les sentiers délaissés de la justice, et quelques exécutions militaires, faites de temps en temps à la porte du Sénat, les garantiront pour toujours de la contagion de la cour. II n'est pas un homme de sens qui ne convienne que c'est là le moyen le plus efficace de remettre les choses sur un bon pied, d'établir et d'affermir pour toujours la liberté publique. Mais, disent les patriotes pusillanimes, l'Assemblée nationale, toute corrompue qu'elle puisse être, n'est elle pas notre palladium, notre bouclier, et que deviendrion-nous, si elle était dissoute ? Ils auraient eu raison, il y a treize mois, lorsque le prince était un despote terrible, qu'il avait trois cent mille satéllites à ses ordres, que la nation était sous le joug, et que la capitale, environnée de cinquante mille assassins, était menacée de scènes d'horreur et de carnage. Mais aujourd'hui que le sceptre du despote est brisé, que les soldats des troupes de ligne sont presque tous pour la patrie, et que la nation entière a les armes à la main, qu'avons-nous à craindre, à déployer de l'énergie, à manifester la ferme résolution de ne vouloir être, ni asservis, ni leurrés par nos mandataires ? Si, lors du decret sur le veto suspensif Riquetti l'aîné, qui le fit passer, avait été honteusement chassé du Sénat national, ce seul acte de justice nous aurait épargnés ses funèstes décrets de la loi martiale, de l'indépendence de nos représentants, du marc d'argent, de la contribution directe pour être électeur ou éligible, de la conservation de la ferme, des impôts désastreux de l'ancien régime, des tribunaux d'exception, de l'érection du Châtelet en tribunal d'Etat, des pensions énormes prodiguées aux frères du roi, du douaire exorbitant accordé à sa femme, du plan oppressif de municipalité, du droit de la paix et de la guerre, du serment fédératif et d'une multitude d'autres que l'on verra éclore sur l'organisation du pouvoir judiciaire de l'armée de ligne et des gardes nationaux.

Un seul acte de rigueur déployé dès le premier par nous aurait dispensé d'y recourir jamais. Osons donc nous montrer et tous nos ennemis seront à nos pieds; ils ne sauraient nous opposer la force, la fourberie est leur seule ressource. Nous n'avons donc rien à craindre que de nous-mêmes, de notre ignorance, de notre crédulité, de notre aveugle confiance, de notre respect superstitieux. Serons-nous donc éternellement de vieux enfants ? Quand viendra le temps où pour juger les hommes, nous commencerons par les dépouiller de tout accessoire imposant ? où le caractère de représentant de la nation ne garantira pas des suites du mépris les traîtres qui en sont revêtus ? où l'appareil de la puissauce laissera voir à nu le lâche qu'il environne ? et où l'éclat du diadème n'empêchera pas de voir le manant qui le porte ? Quand viendra le temps où nos hommages seront réservés aux talents, et nos respects à la vertu ?

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OBSERVATIONS SUR LES HAINES SOULEVÉES CONTRE LUI

J'aime à croire que la vivacité de mes réclamations, en soulevant l'opinion publique, embarrasse quelquefois les ennemis de la liberté, et je sais mieux que personne combien la haine des noirs et des ministériels de l'Assemblée nationale pour le pauvre Ami du peuple est sincère. - Ils m'ont décrété comme criminel de lèse-nation, et c'était une sotte facétie; je leur ai montré cent fois qu'ils ont trahi la patrie, et c'est une triste vérité. Que prétendent ils faire aujourd'hui contre moi ? Me décréter encore ? Ce serait une platitude ; ils connaissent mes sentiments. Je ne sais s'ils y ont bien réfléchi; mais ce qui pourrait leur arriver de moins grave, c'est le scandale atroce que leur persécution contre le plus zélé défenseur de la liberté exciterait dans le royaume, si j'avais le malheur de tomber dans leurs mains; car très certainement je ne me laisserai pas égorger sans crier. Si la nation était éclairée et que la justice fût faite, ils rougiraient de paraître en cause contre moi, je leur en porterai le défi; mais que me reprocheront-ils ? De leur manquer de respect ? Assurément c'est leur faute; ils savent combien j'en ai pour le mérite et pour la vertu. De n'avoir aucune vénération pour leurs décrets ? ils se trompent grossièrement, je suis à genoux devant celui de la déclaration des droits de l'homme ; mais s'ils n'ont pas craint de fouler aux pieds leur plus belle loi en y portant atteinte par cent décrets postérieurs, me feront-ils un crime de ne pas respecter plus qu'eux leur propre ouvrage et de fouler aux pieds ces décrets attentatoires ? Croient-ils m'intimider ? Qu'ils ne s'en flattent pas; fanatique de justice et de liberté, je combattrai sans cesse avec courage pour une aussi belle cause et plutôt que de l'abandonner lâchement, ils me verraient combattre seul sur les ruines fumantes de la patrie. Espèrent-ils me tenir et me forcer au silence ? Comme ils abusent de la force publique, je tâcherai de ne pas me trouver sur leur chemin. Au surplus, je leur ai donné un excellent moyen de faire de moi le plus zélé de leurs apologistes : c'est de révoquer leurs décrets attentatoires aux droits de l'homme et du citoyen; c'est d'en faire de nouveaux pour assurer la liberté publique, établir le régime de la justice; c'est de prendre soin des infortunés; c'est d'extirper tous les abus, de ramener parmi nous l'abondance et la paix et de se rendre dignes du nom de pères de la patrie. Qu'ils mettent la main à l'oeuvre et je cours à l'encensoir.

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CONJURATION DE TOUS LES ENNEMIS DE LA REVOLUTION AVEC LAFAYETTE

Peut on douter encore que le grand général, le héros des deux mondes, l'immortel restaurateur de la liberté, ne soit le chef des contre-révolutionnaires, l'âme de toutes les conspirations contre la patrie ? peut-on douter qu'il n'ait dans tous les points de la France des émissaires de la trempe de ses aides de camp, c'est à dire des fourbes adroits recueillis dans les tripots de Paris et presque tous fameux dans les fastes de l'ancienne police ? Peut on douter qu'à l'aide de ces misérables vendus au despotisme, il n'ait réuni en corps dans chaque département tous les ennemis de la révolution et formé des listes de proscription de tous les bons patriotes à corrompre, à immoler ? Peut-on douter qu'il n'existe toujours des compagnies de famine dont l'administrateur parisien des subsistances est le directeur général, et dont les municipaux des provinces sont les associés ?

Peut-on douter que la majorité corrompue de l'Assemblée nationale, si empressée de lancer en leur faveur des décrets fulminants contre le pauvre peuple qu'ils affament, ne connive avec eux ? Peut on douter que dans tout le royaume les maréchaussées ne soient encore des satellites aux ordres du ministre pour enlever les bons citoyens et les faire périr clandestinement ?

Peut-on douter que les ministériels, les ci-devant privilégiés, les robins, les municipaux, les membres des tribunaux de districts et de départements, les états-majors des milices nationales, le corps des officiers de l'armée et de la marine, les troupes étrangères, la finance, les agioteurs et les sangsues de l'Etat, les suppôts et les satellites royaux, et la tourbe nombreuse des mauvais citoyens qui ne soupirent qu'après le désordre et l'anarchie ne soient conjurés contre la liberté ? Enfin peut-on douter que l'intrigant Motier ne tienne dans ses mains les fils de leurs trames perfides ? Citoyens, je vous le répète : vous vous faites illusion ; la machine ne marchera point, ou elle ne marchera qu'aux ordres du despote, jusqu'à ce que la hache vengeresse ait abattu les têtes criminelles des principaux conspirateurs, en commençant par celle de l'indigne général.

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DANGERS QUI MENACENT LA FRANCE

Citoyens, nous dormons tous au-dessus d'un volcan. A la vue des soulèvements des troupes de ligne et de l'escadre, des mouvements populaires causés dans les provinces par l'accaparement des grains, de la chute des arts des manufactures et du commerce, par le resserrement et l'accaparement du numéraire, des séditions excitées dans nos provinces méridionales, du bouleversement dans nos colonies, du refus de payer les impôts, des malversations des municipalités, des conspirations contre la patrie, des prévarications du Châtelet, on se demande avec effroi quels sont donc les agents de tant d'embûches, de tant de sourdes manoeuvres, de tant de conjurations, de tant de perfidies ? Ah ! faut-il le demander ? Et serait-il un seul homme parmi nous qui sans hésiter ne nommât les ministres ?

C'est au moment que les Français annoncent de la manière la plus authentique que jamais ils n'entreprendront rien sur la propriété de leurs voisins, que toutes les nations s'arment contre eux; c'est au moment où leur loyauté prend l'engagement d'acquitter une dette immense contractée par l'infâme prodigalité de ses anciens administrateurs qu'on s'efforce de tarir la source de leur bonne foi, de leur bonne volonté, c'est au moment où, la balance des droits des nations à la main, ils posent des barrières entre l'oppression et l'anarchie, que toutes les puissances de l'Europe trouvent dans leurs sujets des instruments de vengeance et le soutien de leur exécrable ambition. Eh ! que prétendent donc ces despotes ? quel sera leur manifeste ? de quels principes autoriseront-ils la violation de notre constitution ? Espèrent-ils couvrir d'un crêpe funèbre notre liberté naissante, ou présument-ils que, faibles et pusillanimes, nous recevrons dans un respectueux silence le joug qu'il leur plaira de nous imposer ? Les Français esclaves, sous Louis XIV, ont fait trembler l'Europe pendant quarante ans, ils désavouent aujourd'hui ces vains trophées de gloire; mais pour être devenus humains, justes, généreux, libres enfin, pense-t-on qu'ils ne sauront pas défendre leurs droits et leurs foyers ?

Jugez qui aime le plus le roi, ou des patriotes qui cherchent à rétablir son autorité sur les bases inébranlables de la justice, ou des conspirateurs qui voudraient l'engloutir sous les débris de leur patrie ? Est-ce par respect, par amour pour Louis XVI que ces factieux soulèvent les peuples contre les lois sanctionnées par lui ? Est-ce par respect pour la couronne qu'ils cherchent à démembrer le royaume et à en faire passer les plus belles provinces sous les dominations étrangères ? Qui ne voit que les passions les plus atroces, guidées par un intérêt purement personnel, sont le seul mobile de leur conduite ? Et ces hommes perfides s'appellent bons Français !

La constitution ne permet aucun terme d'accommodement entre un peuple libre et des tyrans. On peut embraser nos propriétés, y renouveler les horreurs flétrissantes du Palatinat, mais la France sera libre ou ne sera qu'un désert, monument éternel de honte et d'infamie pour les peuples qui survivront à ses cendres.

Français, je remplis mon devoir en vous annonçant des dangers; ils sont imminents, et si vous ne prenez pas promptement les plus sages précautions, vos frontières seront au printemps cernées de quatre cent mille hommes de troupes étrangères; des armées nombreuses pénétreront à la fois dans vos foyers par l'Alsace, la Champagne, la Flandre et le Dauphiné, le gouvernement anglais aura peut-être la lâcheté de profiter de ce désordre pour envahir vos colonies : la fidélité de l'Espagne est très suspecte. Armez-vous donc, il est temps, si vous voulez prévenir la guerre la plus désastreuse. Il ne s'agit que de vous mettre en mesure pour dissiper tant de complots.

Je sais que vos ennemis, dans le sein même de l'Assemblée nationale, ne manqueront pas d'opposer que toutes dispositions de défense appartiennent exclusivement au pouvoir exécutif; car ils savent respecter les décrets qui concourent à leurs vues; mais si ce pouvoir sommeillait au bord du précipice, si le roi était trompé, s'il était vrai que ses agents fussent d'intelligence avec ses ennemis, y aurait-il de la justice à accuser le Corps législatif d'empiéter sur ses droits du pouvoir exécutif, parce qu'il serait forcé de prendre des précautions contre lui-même et pour son propre intérêt ? Voulez-vous périr constitutionnellement ? Et lorsque vous êtes environnés de pièges et de dangers, si, par défaut de mesures efficaces, le pouvoir exécutif attaque, même indirectement, votre constitution, ne rompt-il pas vos engagements et les siens ? et devez-vous lui confier alors le soin exclusif de veiller à votre sûreté ? Qu'est-ce donc que le droit des hommes ? Qu'est-ce que la résistance à l'oppression ? Qu'est-ce que le serment que vous avez fait ?

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